Tracer des frontières à Djibouti

Hommes et territoires aux XIXe et XXe siècles - Corpus de textes


30 janvier 1908 - Concession du chemin de fer franco-éthiopien (Menelik-Vitalien)
Nous Menelik, Roi des Rois d'Ethiopie, transférons au docteur Vitalien, en tant que représentant de la nouvelle société des chemins de fer éthiopiens, l'acte de concession donné en 1894 (le premier Megabit de l'an de grâce 1886) à M. Alfred Ilg, Ingénieur, et cédé par ce dernier à une Compagnie, dans le but de construire et d'exploiter un chemin de fer, sous réserve des modifications qu'il nous a paru convenable d'apporter au dit acte, et l'autorisons à construire un chemin de fer de notre frontière à Addis Abeba.

Art. 1. La compagnie concessionnaire entrera en possession du chemin de fer construit entre Djibouti et Dire-Daoua, l'exploitera et prolongera la ligne jusqu'à Addis Abeba. L'acquisition de la partie du chemin de fer construite entre notre frontière et Dire-Daoua est à la charge de la nouvelle compagnie.
La compagnie concessionaire prendra également à sa charge la créance de deux millions trois cent mille francs que possède l'Empereur contre les anciens concessionaires privilégiés. Le Gouvernement Ethiopien et la Compagnie seront en collaboration dans l'entreprise du chemin de fer, et se sont entendus à cet effet. Le Gouvernement Ethiopien sera pour un quart dans l'entreprise du chemin de fer, et ce quart sera représenté soit par de l'argent, soit par des travaux. Les travaux faits par le Gouvernement Ethiopien seront estimés et portés à son actif pour entrer dans la composition de son quart. Il en sera de même de la créance de deux millions trois cent mille francs dont la nouvelle compagnie a pris la charge. Pour cette créance la compagnie payera au Gouvernement Ethiopien un interêt annuel de 5%.
A moins d'impossibilité reconnue, la direction générale du chemin de fer sera de Dire-Daoua aux Assabots, des Assabots à l'Aouache, et de l'Aouache à Addis Abeba par Lossette.
Art. 2. La durée de la présente concession sera de quatre vingt dix neuf ans à dater du jour où les travaux seront terminés jusqu'à Addis Abeba, et l'exploitation commencée.
Dans la région du chemin de fer, entre Djibouti et Addis Abeba le Gouvernement Ethiopien n'autorisera la construction d'aucune ligne concurente ni d'embranchements; mais pour les besoins de son pays, il se réserve le droit d'établir des routes aboutissant au chemin de fer.
La compagnie sera tenue de commencer les travaux de la ligne entre Dire-Daoua et Addis Abeba dans la délai d'un an à dater de la signature du présent contrat. Le délai pour la durée des travaux et le commencement de l'exploitation sera fixé à l'arrivée à Addis Abeba des ingénieurs de la compagnie.
Art. 3. A partir du commencement de l'exploitation jusqu'à l'expiration de la concession, la compagnie devra établir les trains nécessaires pour le service des marchandises et des voyageurs. Elle devra entretenir toujours en bon état, pour satisfaire aux besoins du commerce, le materiel de chemin de fer et éviter l'interruption de service, sauf dans le cas de force majeur.
Art. 4. Pour toute la durée de la concession, le Gouvernement Ethiopien mesurera et donnera à la compagnie les terrains nécessaires à la construction du chemin de fer, des gares, des ateliers et tout ce qui s'y rapporte. En outre le Gouvernement Ethiopien concèdera gratuitement à la compagnie, pour le chemin de fer, une zone dont la largeur sera de mille mètres depuis la frontière jusqu'à Dire Daoua, de deux cents mètres entre Dire Daoua et l'Aouache, et de cinquante mètres de l'Aouache à Addis Abeba.
Le sous sol des terrains concédés reste la propriété du Gouvernement Ethiopien. L'emplacement des gares sera fixé d'accord avec le Gouvernement Ethiopien. En cas de mobilisation ou de guerre, la compagnie sera tenue d'arrêter les trains partout où ce sera nécessaire, même en dehors des stations, pour charger et décharger des troupes ou du materiel de guerre. Dans ce cas, le Gouvernement Ethiopien préviendra la compagnie d'avance.
La compagnie est autorisée pour la construction et l'exploitation du chemin de fer, à l'exclusion de toute autre entreprise, à prendre gratuitement sur les terrains concédés pour le chemin de fer et ses dépendances et partout où ce sera nécessaire, même en dehors de sa zone, les matériaux dont elle aura besoin, l'eau, le bois, la chaux, le sable, le ballast, etc.
Art. 5. La compagnie concessionaire établira le long de la voie, à ses frais, un fil téléphonique et télégraphique, et elle entretiendra les employés nécessaires à son fonctionnement. La compagnie devra transmettre gratuitement par ce fil toutes les communications de service du Gouvernement Ethiopien. Si le premier fil ne suffisait pas, la compagnie en établirait un second à ses frais. Le télégraphe sera établi partout où parviendra le chemin de fer. L'usage du télégraphe et du téléphone est réservé à la compagnie et au Gouvernement Ethiopien à l'exclusion des particuliers. Toutefois, les voyageurs pourront se servir du télégraphe et du téléphone sur la présentation de leur billet.
Art. 6. La compagnie ne pourra pas augmenter son capital sans entente préalable avec le Gouvernement Ethiopien. Il est en outre interdit à la compagnie de disposer de son capital pour des entreprises autres que la construction et l'exploitation du chemin de fer. Il est également interdit à la compagnie de céder le présent contrat ou d'engager le chemin de fer en tout ou partie, par vente, par association, par location ou par tout autre moyen.
Art. 7. La compagnie fera connaître au Gouvernement Ethiopien le montant de son capital social. Le Gouvernement Ethiopien voulant venir en aide à la compagnie pour la construction du chemin de fer, l'autorise à percevoir sur toutes les marchandises transportées par le chemin de fer, à l'exception des marchandises du Gouvernement Ethiopien, une taxe de 6%, ce prélevement étant en dehors des droits de douanes perçus par le Gouvernement Ethiopien, et en plus du prix de transport. La perception de cette taxe se fera à Diré-Daoua. Sur ce prélevement de 6%, 4% seront aquis à la compagnie et 2% seront versés au Gouvernement Ethiopien, qui devra les utiliser au profit du pays, les employera à la construction de routes aboutissant au chemin de fer. Seules les marchandises importées et exportées par le chemin de fer seront exemptées jusqu'à leur lieu de destination de toute taxe en dehors des droits de douane.
Art. 8. Si les resources provenant de son capital et de l'ensemble de ses revenus, augmentées du montant du prélevement de 4% sur les marchandises autorisés par le Gouvernement Ethiopien, ne suffisent pas aux besoins de la compagnie, celle-ci pourra recevoir l'aide du Gouvernement Français. Mais s'il n'y a pas de déficit la compagnie ne pourra rien recevoir du Gouvernement Français.
Art. 9. La compagnie ne pourra changer le tracé de la ligne déjà construite ou à construire sur le territoire éthiopien, ni faire des embranchements sans le consentement du Gouvernement Ethiopien.
La compagnie communiquera ses statuts au gouvernement éthiopien et si ses statuts n'étaient pas établis en conformité des clauses du présent contrat, elle serait tenue de les modifier sur la demande du Gouvernement Ethiopien.
Art. 10. Le Gouvernement Ethiopien nommera un membre pour le représenter dans le conseil d'administration de la compagnie. La compagnie fera connaître au Gouvernement Ethiopien le nom de son président et celui de son représentant à Addis Abeba. Si ce représentant était en désaccord avec le Gouvernement Ethiopien la compagnie devrait le remplacer. Pour assurer l'exécution du présent contrat le Gouvernement Ethiopien nommera un contrôleur. Ce contrôleur sera chargé, avec le contrôleur nommé par le Gouvernement Français, de surveiller la construction et l'exploitation du chemin de fer. Ces frais de contrôle seront à la charge de la compagnie.
Art. 11. Pour les voyageurs, ainsi que pour les marchandises, la compagnie fixera elle-même ses tarifs. Toutefois ils ne devront pas être supérieurs aux tarifs actuels, mais plutôt inférieurs. Les bagages, les marchandises et les agents du Gouvernement Ethiopien seront transportés à demi-tarif; les chefs voyageant avec leur suite paieront également demi-tarif; les voyageurs devront être munis de réquisitions du Gouvernement Ethiopien. Seront transportées gratuitement: la poste, les postiers, les dépêches et les courriers du Gouvernement Ethiopien. Les marchandises du Gouvernement Ethiopien auront la priorité sur les autres pour l'expédition. En temps de guerre, le chemin de fer sera mis à la disposition du Gouvernement Ethiopien qui paiera les transports à la compagnie au prix de revient. La compagnie ne pourra faire entrer sur le territoire éthiopien, ni en faire sortir, sans un ordre écrit du Gouvernement Ethiopien, des troupes ou du matériel de guerre. Si elle faisait de pareils transports sans ordres, elle devrait abandonner le chemin de fer au Gouvernement Ethiopien. Mais si la bonne foi de la compagnie avait été surprise, elle serait autorisée à en faire la preuve contradictoirement avec le chargeur.
Art. 12. A titre de compensation pour la présente autorisation de construire un chemin de fer sur le territoire éthiopien, la compagnie paiera au Gouvernement Ethiopien une redevance annuelle, basée sur la recette kilométrique du chemin de fer. En partant de 3.000 Frs de recettes kilométriques, cette redevance sera de 15% sur l'exédent de recette entre 6.000 et 8.000 Frs, de 20% sur l'exédent de recettes entre 8 et 10.000 Frs, et de 25% au delà de 10.000 Frs. Cette redevance sera calculée pour toute la longueur de la ligne construite en territoire éthiopien, et jouera jusqu'à l'expiration de la concession.
Art. 13. Le Gouvernement Ethiopien protégera le chemin de fer contre toute atteinte sur le territoire de l'Empire, et fournira les soldats chargés de le garder. Les gardiens seront logés et payés par la compagnie; ils seront transportés gratuitement, ainsi que leurs bagages et leurs provisions.
Si un accident quelconque arrivait au chemin de fer pour des causes que le Gouvernement Ethiopien n'aurait pu prevenir, celui-ci n'en serait pas responsable.
Art. 14. A l'expiration de cette concession, le chemin de fer et ses dépendances ainsi que le matériel fixe, depuis la frontière, deviendront propriété du Gouvernement Ethiopien, sans indemnité, le matériel roulant et les approvisionnement resteront la propriété de la compagnie, mais le gouvernement éthiopien pourra les acquérir, en tout ou partie, moyennant paiement de leur valeur à dire d'expert.
Art. 15. Toutes les difficultés qui pourraient survenir entre le Gouvernement Ethiopien et la compagnie au sujet de l'interprétation ou de l'exécution du présent contrat seront reglées par l'arbitrage. Le Gouvernement Ethiopien désignera un arbitre, la compagnie un autre; si ces deux arbitres ne s'entendaient pas, le Gouvernement Ethiopien et la compagnie choisiraient un troisième arbitre qui déciderait sans appel.
Art. 16. Le Gouvernement Ethiopien nommera un représentant au conseil d'administration de la compagnie. Ce représentant aura les mêmes attributions et les mêmes émoluments que les autres membres de ce conseil. La compagnie établira un représentant à Addis Abeba.
Art. 17. Le matériel, les métaux, le charbon, et toutes autres marchandises importées par le chemin de fer, et nécessaires à son travail seront exempts de droits de douane.
Un droit de timbre sera perçu au profit du Gouvernement Ethiopien sur les lettres de voiture et les récépissés délivrés aux commerçants pour le transport des marchandises. Ce droit de timbre est fixé à une demi-guerche par cent francs de prix de transport. Ce timbre représente un droit de statistique au profit du Gouvernement Ethiopien.
Art. 18. Il est interdit à la compagnie de céder le présent contrat à un Gouvernement quelconque, ni à aucune compagnie, soit par vente ou par échange.
Ce contrat est écrit en double exemplaire dont l'un restera entre les mains du Gouvernement Ethiopien, et l'autre entre les mains de la compagnie.
Ecrit à Addis Abeba, le 21 Teur de l'an de grâce 1900 (30 janvier 1908)

Sceau impérial
Docteur Vitalien

Avenant du 26 mai 1908

La redevance prévue à l’article 12 ne sera due que lorsque la garantie de l’Etat français aura cessé de fonctionner, ainsi qu’il est prévu à l’article 8 et lorsque ses avances auront été remboursées. Quel que soit le chiffre de la recette kilométrique correspondante, le prélèvement sera opéré conformément à l’article 12 à raison de 15 p. 100 sur l’excédent de recettes au dessus de ce chiffre jusqu’à 2000 francs, de 20p. 100 entre 2000 et 4000 et de 25 p. 100 au delà de 4000 francs.
Le texte de cet avenant a été accepté par lettre du négus en date de 20 et 27 mai 1908 et de M. Brice, Ministre de France à Addis-Abeba en date du 26 mai 1908.
Référence ANOM, Série géograhique, Somalis 10/102
Pour citer ce document djibouti.frontafrique.org/?doc107, mis en ligne le 5 novembre 2010, dernière modification le 5 novembre 2010, consulté le 18 avril 2024.

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